Notre père fondateur

Rencontres du Père Dominique Ribes (co-fondateur de la Congrégation des FNDD) avec Bernadette Soubirous et récit de son chemin spirituel face à la réalité des Apparitions.

Comme le Père D. Ribes le dit lui-même dans un des ses courriers au Révérend Père J.M. Cros, auteur d’un grand ouvrage sur la Grotte de Lourdes, « j’ai vu Bernadette Soubirous trois fois en l’année 1858 » et voilà ce que nous apprennent leurs échanges.
Ecoutons-le plutôt, maintenant nous relater lui-même ses entrevues avec Bernadette en cette année 1858, année des apparitions.

Premier récit :
« Premièrement, Bernadette se trouvait à Tarbes chez sa tante Madame Deluc. J’étais directeur au Grand Séminaire. Le premier juillet, une pieuse demoiselle de la ville me dit :
« Désirez-vous voir Bernadette ? Elle sera à la chapelle pendant votre dîner. Vous pourrez lui parler au commencement de la récréation. »
Je sortis du réfectoire au moment où la Communauté se levait de table et j’allais vers Bernadette.
Elle ouvrit la porte qui donnait sur la cours d’honneur et, apercevant les séminaristes qui se rendaient à la chapelle par la salle des exercices, elle fut comme stupéfaite. Elle prit de l’eau bénite, se signe très lentement, suivant les séminaristes de son regard et manifestant son étonnement.
Son signe de Croix ne ressemblait nullement à ceux de la Grotte.
Je l’interrogeai sur les Apparitions. Elle me répondit avec beaucoup de simplicité, sans le moindre embarras. Voici une singularité que je ne puis omettre : nous étions à la loge du concierge. C’était le jour de grand marché et les jours de marché les parents ont l’habitude de venir visiter les séminaristes. Les Abbés se rendaient au parloir par groupes. Lorsque Bernadette les voyait arriver, elle interrompit son récit et poussait cette exclamation : oh ! oh !
Elle avançait la tête, regardait avec curiosité et, sans s’inquiéter de son interlocuteur, elle s’approchait de la fenêtre pour considérer les abbés à son aise. Quand il étaient passés, elle reprenait sa place et continuait la phrase commencée. La pauvre enfant était beaucoup plus préoccupée du nombre des soutanes qui défilaient sous ses yeux, que des choses qu’elle racontait. Elle semblait d’ailleurs n’attacher aucune importance aux événements de la Grotte.
Son innocence, sa simplicité et son air distrait m’impressionnèrent fortement. Je la quittais en me disant : « cette enfant ne veut point tromper ». Je me sentais porté à croire à la réalité des Apparitions.
Le lendemain, fête de la Visitation de la très Sainte Vierge, Bernadette entendait la messe à la chapelle du Séminaire.

Deuxième récit :
« Dans le courant du mois d’août, je fis le voyage de Lourdes en compagnie d’un prêtre étranger. Ce prêtre était descendu au Grand Séminaire. Il me pria de lui indiquer le moyen le plus économique de se rendre à Lourdes. Il était pauvre. Depuis longtemps, je désirais moi-même visiter la Grotte. Je louais une voiture et je lui offris une place.
Après avoir vu Monsieur le curé, nous allâmes au moulin qu’habitait la famille Soubirous.
Nous nous tînmes à la porte. Le père, la mère sortirent, ils étaient très embarrassés de notre présence. Le père avait une bonne figure, fraîche, d’un teint coloré, il portait sur la tête un béret bleu, tout enfariné. La mère tenait un enfant entre ses bras et un autre enfant s’attachait à un pan de sa robe.
-    « Vous voulez voir Bernadette, nous dirent-ils ?
-    Oui, si c’est possible.
-    Elle n’est pas ici mais elle ne tardera pas à rentrer.
-    Nous repasserons répondîmes-nous et nous prîmes congé de ces braves gens.
Du moulin nous nous rendîmes à la Grotte par un petit chemin qui longe le fort. Nous descendîmes la pente alors abrupte et dénudée, plantée aujourd’hui d’arbres verts et rendue facile par le sentier en zigzag si connu des pèlerins.
Nous arrivâmes en face de la Grotte merveilleuse. Une barrière de planches en fermait l’entrée. Un enfant de douze à quatorze ans était agenouillé, un petit cierge allumé à la main. Il simulait Bernadette, saluant un être mystérieux, roulant un chapelet entre ses doigts et s’avançait à genoux vers le pied du rocher. Le sol s’élevait en amphithéâtre, les crues du gave ayant formées comme de larges marches d’escalier très adoucies. Nous considérâmes le visionnaire pendant quelques instants. Ses traits étaient contractés et repoussants. Mon compagnon lui cria : « sors de là, tu fais l’œuvre du Diable ! ». L’enfant feignant de ne point entendre continua ses opérations. « Sors de là », lui répéta une voix de tonnerre « ou la main de Dieu va te frapper ! ». A l’instant, le visionnaire éteint son petit cierge, grimpe par-dessus la barrière et disparaît.
Nous priâmes, nous bûmes de l’eau de la fontaine et nous allâmes chez Monsieur le Curé.
Bernadette nous y attendait. Elle nous raconta avec sa candeur ordinaire ce qu’elle avait vu et entendu à la Grotte.
Je lui fis des observations sur les trois secrets, j’y voyais une imitation de la Salette. Elle répondait sans hésitation : « qu’elle avait reçu ces secrets pour elle seule, qu’elle ne devait les dire à personne, pas même au Pape ; qu’elle était certaine de les garder. »
Mon compagnon me déclara qu’il croyait. Pour moi, répondis-je, je ne suis pas encore convaincu. Je suis disposé à croire, mais je veux d’autres preuves. Il dût faire part des mes impressions à Monsieur le Curé, car peu de jours après, Monsieur le Curé de Lourdes disait à l’Evêché ; « comment voulez-vous que les étrangers ajoutent fois aux Apparitions, alors que les Directeurs du Grand Séminaire se prononcent contre ? » et il me désignait comme indisposant les personnes contre la Grotte.
En 1859, j’allais célébrer une messe d’action de grâces dans l’Eglise de Lourdes pour une guérison obtenue par l’emploi de l’eau de la Grotte, Monsieur le Curé me dit à moi-même : « vous deviez réparation à la Sainte Vierge car vous lui avez fait opposition. » Or jamais je n’avais fait opposition à la Grotte. Je cherchais simplement à m’éclairer. Je n’étais pas incrédule ; je demandais des preuves avant de donner mon assentiment.

Troisième rencontre :
Dans la première moitié de septembre 1858, je descendis de Cauterets avec deux dames pour visiter la Grotte.
La Maîtresse de maison où nous étions arrêtés, voulu nous ménager une agréable surprise. Après notre dîner, elle ouvrit la porte d’une pièce dans laquelle se tenait la petite Bernadette : « j’ai pensé nous dit-elle, que vous désiriez voir Bernadette. J’ai demandé à Monsieur le Curé de la laisser venir. La voici. »
Bernadette nous fit son récit en patois pendant une heure entière, sur le même ton, sans brocher, prenant à peine le temps de respirer, absolument comme un écolier qui récite une leçon bien apprise. Si elle s’interrompit un instant, c’était pour tousser car la petite créature était asthmatique. La pensée me vint de copier ce récit en patois.
Lorsqu’elle se fut arrêtée, je lui dis : « Tu t’es barbouillée le visage, tu as bu une eau bourbeuse, tu as mangé de l’herbe. Ce sont là des choses qui répugnent ; la Sainte Vierge ne te les aurait point commandé. » J’essayai de la surprendre, de la mettre en contradiction avec elle-même. Bernadette reste calme, imperturbable.
J’insistais surtout sur la procession que la Vision demandait. Je lui fis ce raisonnement : « Il est impossible que la Sainte Vierge t’ait dit de demander une procession aux prêtres. En effet, tu t’es adressés à Monsieur le Curé ; Monsieur le Curé ne peut pas faire une procession par lui-même ; il lui faut la permission de l’Evêque. Or, la Sainte Vierge le sait. Donc, il est impossible qu’Elle t’ait dit d’aller lui demander une procession. Tu t’es trompée. »
Je devais m’attendre à cette réponse : « Si Monsieur le Curé a besoin de la permission de l’Evêque, il n’a qu’à s’adresser à l’Evêque et la demander. »
Elle répondit mieux :
« Si c’est impossible répliqua-t-elle, je me suis trompée, mais j’ai entendu cette parole comme les autres. » Elle s’exprima avec une si admirable simplicité que je me dis : « il ne faut plus presser cette enfant, je ne lui ferai pas d’autres objections. » Sa parole m’inspirait du respect. Je l’ai vue, je l’ai entendue d’autres fois. Je ne me suis permis aucune observation. J’aurais regardé comme une profanation de la contredire encore.
J’ai parlé de mes trois entrevues avec la petite Bernadette dans l’année 1858. J’ai marqué les incidents qui m’avaient frappé davantage.
Au mois de (…) c’est la procession demandée qui a fixée mon attention.
Dans l’esprit de Bernadette, il ne s’agissait que d’une procession. Elle ne parlait que d’une procession unique, si alors ou avant cette époque, elle eut parlé de processions au pluriel, je l’aurai remarqué parce que je prenais des notes et que je cherchais à la faire tomber en contradiction, ne croyant pas aux Apparitions. J’ai vivement recherché ces notes ; je ne les ai points retrouvées.
Depuis la réception de votre lettre, mon très révérend père, j’ai vu Monsieur Lamolle, Vicaire Général, qui a officiellement interrogé Bernadette. Je lui ai posé cette question :
« Bernadette parlait-elle d’une ou de plusieurs processions ? »
Il m’a répondu : « Bernadette ne parlait que d’une procession. C’est la servante de Monsieur Lacade qui a dit tenir de la Sainte Vierge qu’il y aurait ou qu’on ferait des processions à la Grotte. Vous pourriez voir Monsieur Lamolle, il vous répèterait la même affirmation.
Vous connaissez la cérémonie du 4 avril 1864. On se rendit de l’Eglise à la Grotte pour l’inauguration de la statue. Ce fût une procession admirable. J’entendis répéter cette parole ? « La Sainte Vierge a demandé une procession, la voici, elle est belle, magnifique, telle qu’il la fallait ! »

Quand nous écoutons ainsi le récit des rencontres du Père Dominique Ribes avec Bernadette Soubirous, nous pouvons relever qu’il n’était pas encore croyant et comme il l’écrira dans une autre lettre « J’attendais des preuves indiscutables, de véritables miracles. On citait bien des guérisons. Mais plusieurs des guérisons qu’on rapportait étaient incomplètes ou ne se soutenaient pas. Des esprits sérieux n’y trouvaient point les caractères manifestes d’une intervention divine lorsque l’on entendait certains faits. »
Dans une de ses nombreuses lettres il relatera une de ses rencontres avec le Curé Peyramale. « Je reçus au Grand Séminaire, pendant la quinzaine des apparitions, la visite de Monsieur le Curé de Lourdes. Les événements de Lourdes furent tout naturellement le sujet de notre conversation. Monsieur le Curé me raconta les Apparitions de la Grotte, les paroles de la Dame, la visite de Bernadette au presbytère, ses propres réponses, les interrogatoires suivis par la voyante… Je le vois et je l’entends encore. Son visage était enflammé. Il s’exprimait avec une animation et une abondance qui m’étonnait. Il semblait hors de lui-même. (…) « En tout ceci, Monsieur le Curé, lui répondis-je ce que j’admire le plus c’est votre enthousiasme ! »
Dominé par les événements merveilleux qu’il racontait, Monsieur le Curé se figura que je partageais sa croyance, et il prit mes paroles pour un compliment. (…) Une chose est bien certaine, Monsieur le Curé Peyramale parlait comme un homme persuadé de la vérité des Apparitions au moment où j’eu l’honneur de le recevoir au Grand Séminaire. »

Une fois encore, le Père Dominique Ribes nous témoigne de son incrédulité fasse à la réalité des apparitions. Le Seigneur travaillera son cœur jusqu’au mois de Juillet 1859, date laquelle, sa mère gravement malade, sur le point de rendre son âme à Dieu, reçoit des mains de son fils une tisane contenant quelques gouttes d’eau de la grotte …
« la nuit fut mauvaise. Le lendemain matin je dis la messe à l’autel de la Sainte Vierge. Ma voix était émue, les larmes s’échappaient de mes yeux. Jamais je n’ai dit la messe avec une pareille émotion. Après la messe, je me rendis près de ma mère. Je m’agenouillai auprès de son lit, elle était assoupie. Je demandai de la tisane, et j’y laissai couler quelques gouttes d’eau de la Grotte de Lourdes. J’asperge ma mère. J’approche le verre. A peine a-t-elle les lèvres mouillées que, sortant comme d’un profond sommeil, elle ouvrit les yeux et s’écria :
« Vous me laissez mourir de faim ! …
(…) et quelques instants après ma mère se tenait sur son séant et suçait le grillé
»
À partir de cet instant la mère du Père Ribes, qui avait 84 ans, continua à reprendre des forces de jours en jours et travailla presque comme à l’âge de 60 ans.
Cet événement fut décisif pour finir d’éclairer le cœur du Père Ribes et dissipa en lui tout sentiment d’incrédulité.
Quelques temps après ces événements Monsieur le Curé de Lourdes lui dit, alors qu’il venait célébrer une messe d’action de grâces à Lourdes : « Vous deviez cette réparation à la Sainte Vierge ! »